Expérience pédagogique dans une section d'éducation spécialisée

L'expérience qui suit a été réalisée en 1984 à Maisons-Alfort, en Seine-et-Marne. 

Marie, 12 ans, est élève à la section d'éducation spécialisée (S.E.S.) de Maisons-Alfort. Comme ses camarades, elle figure au tableau des ratés du système scolaire : elle a plusieurs années de retard par rapport aux élèves "normaux". Au cours d’une des séances de travail avec l’ordinateur, elle a choisi elle-même de résoudre le problème suivant: afficher son nom en lettres géantes sur l’écran. Le langage utilisé est le VLISP augmenté des instructions graphiques du Logo. Marie dolt donner l’ordre à la tortue de Logo d’avancer, de tourner, en se déplaçant, la tortue trace un trait qui doit reproduire les contours de la lettre. Sans aide aucune de la part du professeur, Marie analyse le problème. Elle décide de le diviser en plusieurs problèmes successifs : donner l’ordre à l’ordinateur de tracer l’une après l’autre les lettres de son nom. Puis, elle se rend compte qu’elle peut apprendre à la machine comment tracer chaque lettre de l’alphabet, et réutiliser les programmes pour écrire n’importe quel nom. Marie vient ainsi de redécouvrir l’un des outils les plus puissants de l’intelligence: la construction de nouveaux concepts à partir de concepts connus.

Marie passe alors à la réalisation. Elle dessine sur une feuille de papier la première lettre de son nom. Puis elle écrit ce programme pour la tracer à l’écran:
AV 10
TD 135
AV 5
TG 90
AV 5
TD 135
AV 10

Une fois réussi l’affichage de le lettre M, Marie a voulu conserver son programme pour pouvoir, éventuellement, tracer un M au milieu d’un autre programme. Pour cela, elle a dû lui donner un nom, M. En ajoutant l’instruction POUR, elle a obtenu ceci :

POUR M
AVANCE 10
TD 135
AVANCE 5
TG 90
AVANCE 5
TD 135
AVANCE 10
FIN

Marie veut maintenant tracer deux M côte-à-côte. En tapant M M, pour avoir deux fois la lettre M, elle obtient cela :

Elle se rend compte que la tortue est mal orientée, quand elle a tracé le premier M elle retrouve la tête en bas, il suffit de lui faire faire un demi-tour (en tapant TD 180) pour qu'elle retrouve la bonne direction.

Marie tape donc M TD 180 M et obtient :

L’élève a pu voir immédiatement l’effet produit par son programme et le corriger en conséquence. C’est donc elle qui enseigne à la machine et non l’inverse, puisque programmer consiste à apprendre à un ordinateur à exécuter une tâche précise. Dès sa première tentative, pourtant imparfaite, l’élève a eu la satisfaction de voir un résultat qui correspondait en partie à son attente. Il n’y a pas de programmes faux, il n’y a que des programmes qui ne fonctionnent pas encore tout à fait bien.

Marie vient ainsi d’utiliser concrètement un outil intellectuel puissant : la faculté de nommer des procédures particulières. C’est là un
premier pas vers l’abstraction, et donc vers l’apprentissage des mécanismes de la pensée. N’oublions pas que Marie fait partie d’une catégorie d’élèves qui ont échoué, justement, parce qu’ils n’arrivaient pas a se hisser au niveau d’abstraction exigé par le cursus scolaire. 

Voilà où réside le pouvoir éducatif de l’ordinateur : il oblige à une compréhension en profondeur d’un problème, permet de vérifier immédiatement la validité d’une hypothèse, relègue les erreurs au rang d’obstacles temporaires, laisse chaque élève libre de sa façon de travailler et de son rythme. Nombreuses sont les expériences de ce type dont les élèves ont retiré un grand profit.

Sources

L'ordinateur à l'école : des enfants plus intelligents ?, Patricia MARESCOT, SVM n°6, mai 1984

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